L’Œuvre-Messagier. Une mimesis abstraite du Monde : les commencements et les achèvements
14 septembre 2024 — 2 février 2025
Vernissage le 13 septembre à 19h

La Fondation Fernet-Branca vous invite à découvrir une exposition consacrée à l’œuvre de Jean Messagier, l’un des peintres les plus singuliers et les plus influents de sa génération, à l’univers pictural unique, profondément personnel et intime.

Son œuvre est l’une des plus importantes de l’histoire de l’art moderne et de la peinture abstraite de la seconde moitié du XXe siècle. Cette exposition avec plus de cent-dix œuvres retrace son parcours en remontant le temps : à partir de ses dernières œuvres semblant accorder la précellence à la forme parce que s’y cristallise en des achèvements somptueux l’opera de sa vie de peintre, son histoire, ses histoires vers les travaux de ses débuts où se mettent en place les caractéristiques que l’on a retenues de son art portées à la fin des années 60 à cette abstraction absolue qu’il recherchait. Nous n’avons que fait allusion, délibérément, aux œuvres surprenantes des années 70 et 80 qui ont fait l’objet de présentations récentes.

Dans ses achèvements tout s’ordonne, sublimé, dans l’enclos du tableau, de la peinture. Les expériences les plus novatrices, les ruptures formelles, les allers et venues d’un médium à l’autre, de la peinture à la gravure, du dessin à la sculpture, du happening et du spectacle à la poésie, les oscillations entre l’éphémère et ce qui « gèle » le temps dans l’intemporalité de l’œuvre, tout se « stoppe » dans chaque tableau de cet ultime moment. L’avait-il pressenti lorsqu’il écrit affrontant la face de l’une de ses peintures : « Je suis pris d’une grande peur car c’est la première fois que mon travail est là devant moi dans une pure abstraction et pourtant avec une terrible présence. » En remontant le temps de l’Œuvre-Messagier, on ne « passe pas au long » d’un fleuve tranquille, mais d’une rivière aux humeurs de rapide, parfois paisible, parfois torrentielle. L’Œuvre-Messagier s’est faite de sauts, de ruptures formelles, de reprises brutalisées, bref de batailles entre la forme et le contenu, les signifiants et les signifiés. Comme faire des sculptures de neige et, dans le même temps, des sculptures en bronze ou faire naître, apparaître une figure grossière d’entrelacs, d’arabesques résolument abstraits tracés par une impérieuse gestuelle et pailletés comme une pop painting. Si nous avons délaissé cette période « d’outrances » que furent les années 70 et 80, c’est, comme dit plus haut, parce que les œuvres de cette époque ont été souvent et très bien été montrées. Moquées lors de l’exposition de 1981- 1982 au Grand Palais, elles ont été depuis le début de ce siècle recherchées et louées pour leur audace provocatrice. Il faudrait, peut-être, aujourd’hui, se risquer à les confronter avec les figurations, en vogue depuis les années 80, depuis les expositions, A New Spirit in Painting, à Londres, et Après le clacissisme, à Saint-Étienne. Et tout particulièrement avec celles de la Transavanguardia italienne ! Avec celles de Robert Combas, d’Hervé Di Rosa, de Gérard Gasiorowski ?

Les œuvres des années 60 et de la seconde moitié des années 50, toujours en remontant au long du temps nous donnent à voir l’accomplissement d’une peinture abstraite, gestuelle dans l’ostension du processus fabricateur, que les qualifications de lyrique ou de nuagiste réduisent à une sorte de référencement impressionniste. Ce que ces « peintures » nous montrent, avec une détermination efficace, transposé en « peinture », c’est d’abord un vécu physique et émotionnel de la Natura naturans. C’est aussi, le combat, la bataille, d’un homme-artiste de notre temps, avec l’eau, l’air, les manifestations des énergies qu’à partir d’un noyau générateur la Nature libère et qui, en peinture, dans la peinture de Jean Messagier, se nouent, se dénouent, en tourbillons, pelotons, écheveaux, torsades de fils plus ou moins épais de peinture, s’agrégeant en lanières, en rubans. L’artiste les délivre en peinture par l’autorité d’une gestuelle les propageant dans une expansion semblant vouloir pousser les bords des tableaux. C’est entre les bords du tableau, dans son espace limité, que ces batailles, ces corps-à-corps de l’artiste avec la nature sont « re-présentés ». Car, chaque tableau, chaque peinture de Messagier les restitue en «peinture», en immobilise l’osmose fusionnel en un spectacle, une représentation « abstraite » parfaitement, osons employer ce terme, réaliste…

Il a fallu, à Jean Messagier, pour y parvenir, une conviction, bien ancrée en ses certitudes, de ce qu’il avait mission de faire dans le champ de la peinture moderne, de l’art de son temps, pour lui offrir un après lui. Cette conviction semble avoir été confortée par son expérience vécue au cours d’un voyage de cette blancheur sublimée de la lumière algérienne, de son poudroiement où s’émoussent, s’effacent, se brisent, portées à des vibrations qui font trembler le temps, l’espace, les lignes cernant les contours des choses. Cette expérience, c’est, peut-être, la surprise saisissante de l’art italien, toscan surtout, qui lui a permis de la transposer en peinture, d’en faire le socle du développement de sa manière, de son style. Mais à ses débuts, il y a eu, l’enseignement dispensé à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, à Paris, par des professeurs sérieux possédant un métier artisanal reconnu. Cet apprentissage de la pratique du métier, il l’a complété, en 1942, par l’écoute attentive des Cours de poétique prononcés par Paul Valéry au Collège de France. Une sorte de propédeutique à l’ébauche d’une « théorie », ces fragments en forme de Haikus rassemblés dans Feuilles de mille-feuilles et Météores quotidiens. Cette « théorisation » poétique s’articule parfaitement à ses pratiques artistiques. Il y a dans cette « dialectique » les prémices de ce jeu de navette qui caractérise la fabrique Supports / Surfaces entre leur pratique et leur production textuelle théorique nourrie par les succédanés de la pensée de Marx, de Freud et celle d’Althusser, de Sollers et de Leroi-Gourhan.

Il n’est pas surprenant que ses premières peintures significatives aient retenu un brin du dessin de Picasso et qu’il ait médité les leçons du cubisme. Mais il ne s’est en rien conformé au post- cubisme de la non-figuration dominante des années 40. Il est remarquable qu’il ait su très vite se libérer des contraintes de l’art figuratif traditionnel et de celles plus décoratives des abstractions géométriques, idéalistes de l’après-guerre. Charles Estienne et Jacques Putman ont bien su déceler l’originalité singulière que promettaient ses œuvres lesquelles exposées sous l’étiquette « École de Paris » ne correspondaient en rien à aucune des « écoles de Paris » qu’elle se targuait de « labelliser ».

Messagier a, très vite, exploré d’autres voies, plus singulières, le conduisant vers une abstraction affirmant le plan de la toile où s’organise un motif, parfois symétriquement, mais en ne s’imposant jamais comme une représentation figurative ou géométriquement décorative. C’est l’expressivité du geste porté par le ressenti de son vécu, de son immersion fusionnelle dans la Nature, que l’artiste va exprimer ensuite, dès les années 50. Il en est résulté des œuvres, souvent de grandes dimensions, rectangulaires comme celles de Morris Louis, oblongues à l’instar des formats cinémascopiques de Pollock ou quadrangulaires comme celles de Clyfford Still. Messagier y a inscrit des formes nuageuses – alors que la peinture de Turner connaît un regain d’intérêt – en apparence informes, des sortes d’écheveaux, d’entrelacs, de tracés, de traces, plus ou moins larges, plus ou moins épaisses, laissés par la gestuelle fabricatrice du peintre maniant de plus ou moins larges brosses plates chargées de couleur, de peinture. Il a développé cette manière expressive en accentuant la prégnance et l’intensité de sa gestuelle tout au long des années 60, brièvement tenté par la radicalité de la monochromie pratiquée par son ami Yves Klein. Tous deux ont partagé une même dilection pour le théâtral, l’action spectaculaire.

Commentant les œuvres de Jean Messagier, Olivier Kaeppelin, dans le texte publié dans le catalogue de l’exposition, écrit : « Si nous avons affaire à des corps picturaux, à des surfaces inspirées par l’herbe des champs, la nuit des animaux, l’eau des lacs, nous n’avons pas pour eux de définition, ils s’étreignent et se rassemblent en une figure inconnue. Pas de nom pour cette synthèse, cette effusion, si ce n’est celui que lui donnait Gérard Gasiorowski: « PEINTURE. » Peinture comme équivalent de ce « Tout » qu’évoque Messagier, peinture comme compagne, lorsque, attentifs à nos sensations, nous constatons qu’elle ne cesse d’inventer son lexique dont aucune grammaire ne peut prendre possession. Nous sommes traversés par le pluriel du monde. Immergés, nous nous laissons portés par ses mouvements. »

Depuis la fin du XVIIIe siècle, la mort de Dieu, la parcellisation du monde, les collages multiples et synchroniques, la totalité n’existe plus comme unité organique. C’est elle, cependant, que Jean Messagier veut peindre. Il la trouve non plus dans une vision englobante d’un monde ordonné et statique, mais dans le seul réel où elle existe encore, dans le moment plein du mouvement, où nous pouvons chercher, peut-être trouver, cette dimension essentielle de nos vies ordinaires. Sa peinture devient, alors, une suite d’expressions intenses de l’air, de substances qui se fait et se défait par le trajet qu’elle permet d’accomplir. En nous et hors de nous, dans un printemps où tout bouge, tout éclot, comme une part d’éternité, que seul l’art permet d’éprouver… »

Dans ce même catalogue, Bernard Ceysson le met ainsi en situation : « De même que Newman et que, plus tard, le fera Frank Stella, Messagier ranime la convention classique de la peinture d’histoire laquelle « suppose que tout grand événement historique ou mythique peut être représenté par l’art et, réciproquement que tout grand tableau doit figurer un grand événement ». Chaque œuvre de Messagier nous représente un grand événement de la Natura naturans. Il le vit avec elle. Et, lui, Messagier le peint comme un instant exceptionnel de sa vie. Il ne le décrit pas, mais le dépeint en une remémoration où fusionnent « narration et description » que sa « présence » active rend « indiscernables ». Comme l’a avancé Starobinski pour le Corésus et Callirhoé de Fragonard, chaque tableau de Messagier, lui aussi, « est habité d’une atmosphère onirique ». Cette atmosphère exaltante et exaltée est soutenue par un accompagnement en mots, dans une langue poétique usant de tous les procédés rhétoriques imageants afin de nous rendre presque audibles les sons de leurs assonances proférées ou déclamées. S’affirme de la sorte cette indissociabilité de l’artiste créant et de la puissance créatrice de la Nature, en un lieu, en un moment, du cycle des heures, des jours et des saisons. En ce sens, il y a, dans la peinture de Messagier, quelque chose retenu de Monet, à ce point à partir duquel se produisent cette expansion moléculaire bien décrite par Diderot dans Le Rêve de d’Alembert et cette expansivité génitrice que délivre la gestuelle de l’artiste. Elle le fait à partir d’un impassible noyau d’où chargés de matière picturale vont se déplier, se déployer, s’entrenouer, des écheveaux de fils de peinture, de lignes devant « figurer » ce qu’en son écriture acérée le titre décrit. C’est alors, que se confirme que ce que nous voyons est bien ce que nous voyons : la fabrique du tableau. Dans les écrits de Messagier est réitérée cette confirmation, mais autrement, dans un rappel, un retour, du même, avec une insistance que je reproduis, que la peinture est comme la poésie : Ut pictura poesis.

Cette exposition n’aurait pas eu lieu sans le soutien de Thomas et Élie Messagier. Le commissariat en a été assuré par Bernard Ceysson et Arlette Klein et l’exposition organisée en collaboration avec Lymyfyr Art Consulting. Le catalogue préparé par Arlette Klein et Elie Messagier a été réalisé par Nastasiea Hadoux.

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Soutien : nous remercions le Conseil municipal de la Ville de Saint-Louis et à son maire Pascale Schmidiger.